mardi 29 avril 2008

Jeux de dupes, de Georges Clooney


Ou l'on apprend que le bon goût n'est pas tout dans la vie +

Ca commençait mal avec l’affiche un peu ringarde et la mauvaise adaptation du titre « Leatherheads » en jeux de dupe, titre plus évocateur d’une pièce de théatre de boulevard avec Jaques Ballutin que d’une comédie romantique. Jeux de dupe n’évoque pas non plus les Etats-Unis dans les années 1920 ‘, la professionnalisation du football américain jusque là sport ignoré et boudé du public, sauf dans le cadre universitaire et qui est le contexte original du film.

Mais Clooney a le bénéfice du doute. Parce qu’il a fait le beau Good Night and good luck, bien sûr.


Il y a plein de bonnes idées et de fraicheur dans ce film, l’hommage au cinéma muet, à ses mimiques et à ses codes, la nostalgie du temps ou il n’y avait pas d’enjeux financiers. La nostalgie tout court. Les dialogues sont plutôt drôles. C’est assez propre, beau souvent avec des couleurs chaudes, des photos sépias puis noir et blanc qui font les ellipses, le générique. Malgré tout ça, on s’ennuie un peu quand même, le doute dissipé.

La timide étrangeté, toujours très classe, des Good Night and Good Luck ou Confessions d'un homme dangereux, à laissé place à un film qui est juste très classe. Seulement classe.




lundi 14 avril 2008

Penelope, de Mark Palansky

Où je m'insurge contre la beauté intérieure -

Penelope est inattaquable.

C’est drôle, c’est beau (avec des relents de Tim Burton et James Mac Avoy en soi c’est un succès de direction artistique). C’est remarquablement bien joué. Des seconds rôles mordants, de Catherine O’Hara au génial Peter Dinklage.
Avec du second degré, un rien de vulgarité pour casser le côté conte de fée.
Et puis la morale est merveilleuse, ou la fille à nez de cochon doit s’accepter telle qu’elle est, comme indiqué sur l’affiche.
C’est un peu le pendant cinématographique du clip de Christina Aguilera « Beautiful ». On en sort réjouit, ému. Et Christina Ricci est à elle seule un plaidoyer pour les gens bizarres qui ont quand même une incroyable et improbable beauté.

C’est donc insupportable.

Parce que c’est mal de dire au gens qu’on peut séduire James Mc Avoy parce qu’on est marrante et cultivée. Parce que Reese Witherspoon surjoue la paumée en étant juste mal coiffée, parce que les riches sont dégénérés et pénibles mais tellement attachants…

Parce que ce second degré et cet humour qui clament « je ne suis pas un film politiquement correct » ne font que cautionner un incroyable et désobligeant déballage de bon sentiments. Mention spéciale au paparazzi au grand cœur qui laisse à deux reprises passer le scoop parce que sa conscience le travaille.

Je trouve ça réactionnaire de bêtise de niaiserie. J’aimerai que James Mc Avoy, remarquable dans « le dernier Roi d’Ecosse », commence à faire des choix de films intéressants, qui ne reposent pas essentiellement sur son regard de tombeur. J’aimerai que Cristina Ricci s’assume en tant qu’actrice et arrête de penser qu’elle est le monstre du cinéma. Qui faut-il appeler pour qu’on lui donne un rôle qui devrait échoir à Katherine Heigl ?

A l’heure du CV anonyme, de la législation sur l’incitation à l’anorexie, du prix à Cannes pour la campagne Dove, du manger-bouger, force est de constater que les ventes de fruits et légumes ne décollent pas et la sélection au physique, au look, à l’appartenance sociale n’a jamais été aussi saillante, malgré la multiplication des pseudos initiatives d’affirmative action de tout bord.

Peut-être pourrai-t on ne pas crier avec les autres, dès qu’une occasion se présente, que l’on aime les gens différents, les freeks, les Juno pleines de couleurs. L’érection de la bizarrerie en norme confine à la stratégie marketing d’extension de gamme (faut bien vendre aussi à ceux qui ont compris qu’ils ne ressembleraient jamais à Katherine Heigl et ça fait du monde). Et si l’on aimait qui ont veut ? Bizarre ou pas, monstre hollywoodien fashion victim ou pas ? On s’éloigne un peu du film certes, mais le cinéma est souvent un symptôme des lignes de forces dominantes.

Ayons l’honnêteté de ne pas adhérer au mensonge universel de la beauté intérieure, car ne l’oublions pas : même le Dalaï-lama est looké !

Le clip de Christina Aguilera : http://fr.youtube.com/watch?v=0ZTs7YfnKMk

Pub Dove : http://fr.youtube.com/watch?v=iYhCn0jf46U

J'ai toujours rêvé d'être un gangster, de Samuel Benchetrit

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Western de Cafeteria presque belge.

Samuel Benchetrit est un gangster. Coupable d’une double arnaque :

Le noir et blanc, qui est toujours une arnaque, comme le dit Woody Allen dans Celebrity (qui est quand même en noir et blanc).

Une affiche qui allie nudité et moiteur, Anna Mouglalis est un produit d’appel fort tant mieux pour elle et pour Chanel. Nudité et moiteur sans aucun rapport avec le film.

Il a donc une drôle de manière de prendre les gens, en tout cas les spectateurs. Et aussi une drôle de manière de filmer, Samuel Benchetrit, parfois tellement amateur, souvent drôle.

J’ai toujours rêvé d’être un gangster est un film français drôle, original, avec des dialogues parfois très bien écrits. Avec des quelques longueurs, quelques facilités, un lien assez brouillon entre les différentes scènes qui la composent. Une fascination pour Coffe & Cigarette de Jarmush qui confine au fanatisme dans la rencontre Baschung/ Arno, sans doute un des passages les moins intéressants du film. A ceux qui ne seraient pas convaincus je propose le test : se repasser la scène dans la tête sans l’incroyable accent d’Arno.

Une fois qu’on dit ça, on constate que l’on est surpris souvent, que l’on rit beaucoup, que c’est un film plein de personnages dépressifs, debout sur la fêlure de la dépression, du chômage, de la vieillesse, de l’adolescence, de la maladie, et qu’on se retrouve dans ces personnages touchants, avec lesquels on s’amuse bien.

L’interprétation est remarquable globalement (bémol sur Anna Mouglalis), avec de acteurs connus et d’autres moins connus.

On ressort content de ce film français voulu comme un hommage au cinéma qui trouve souvent un ton rafraichissant. Un petit espoir pour le cinéma français...dans un grand hommage au cinéma américain.

mardi 8 avril 2008

Les larmes de Madame Wang, de Liu Bingjian

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La Chine est-elle un pays plein de gens individualistes, égoïstes et cyniques ? C’est un peu la question du moment. En tout cas, la Chine abrite des centaines de millions de personnes dans des endroits aussi laids et déprimants que les banlieues anglaises de Ken Loach. La Chine Des larmes de Mme Wang rappelle l’Espagne Franquiste d’El Verdugo*, grande machine enraillée et crispée, broyeuse de gens.

A défaut d’extincteur, Liu Bingjiang jette un grand coup de projecteur sur la Chine d’en bas. A travers l’histoire d’une jeune femme dont le mari, joueur invétéré, est emprisonné et qui doit retourner vivoter dans sa province natale avec une enfant abandonnée.

Pour s’en sortir, payer la dette de son faible de mari, et essayer de le faire libérer, elle établit un partenariat avec un ex petit ami, devenu gérant d’un magasin de pompes funèbres, et se fait embaucher comme pleureuse.

Les chinois tirent le diable par la queue, et le cynisme de l’industrie de la mort (avec l’amant qui surveille les cancers en phase terminale dans les hôpitaux) n’est rien par rapport à l’absurdité du fonctionnement schizophrène de la société. La Chine fait cohabiter le pire du régime totalitaire et le pire de l’ultra libéralisme, à savoir le maintien de coutumes ancestrales insupportables (la femme doit honorer la dette de son mari), les passe-droits, la corruption, les voisines qui ragotent. Ceux qui ne s’en sortent pas abandonnent leurs enfants faute de pouvoir s’en occuper.

La mécanique est simple : la confrontation systématique avec la mort des autres ne fait qu’accentuer la nécessité ardente de s’occuper de soi. C’est le paradigme des régimes totalitaires, et l’arlésienne de l’ultra capitalisme. La solitude des individus ne trouve de palliatif ni dans la société traditionnelle ni dans la modernité.

L’industrie de la mort est un marché qui ne connait pas la crise. Et Mme Wang, qui n’est pas
« une femme respectable », devient une pleureuse à succès. Ce qui fait la force du film : c’est qu’il ose s’appesantir sur des plans de murs qui craquellent, sur des travelling qui suivent une femme dans un dédale de banlieue délabrée, et qu’il s’attarde sur des anciennes directrices d’opéra proche du coma éthylique, sans misérabilisme. C’est aussi la confrontation entre la grisaille et la sauvagerie du monde et le délitement de la jeune femme qui lutte maladroitement pour sauver son petit monde, avec un triste succès.

* dédicace à Nathalie qui remua tout Madrid pour me trouver une VHS en juin 2000.