mardi 8 avril 2008

Les larmes de Madame Wang, de Liu Bingjian

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La Chine est-elle un pays plein de gens individualistes, égoïstes et cyniques ? C’est un peu la question du moment. En tout cas, la Chine abrite des centaines de millions de personnes dans des endroits aussi laids et déprimants que les banlieues anglaises de Ken Loach. La Chine Des larmes de Mme Wang rappelle l’Espagne Franquiste d’El Verdugo*, grande machine enraillée et crispée, broyeuse de gens.

A défaut d’extincteur, Liu Bingjiang jette un grand coup de projecteur sur la Chine d’en bas. A travers l’histoire d’une jeune femme dont le mari, joueur invétéré, est emprisonné et qui doit retourner vivoter dans sa province natale avec une enfant abandonnée.

Pour s’en sortir, payer la dette de son faible de mari, et essayer de le faire libérer, elle établit un partenariat avec un ex petit ami, devenu gérant d’un magasin de pompes funèbres, et se fait embaucher comme pleureuse.

Les chinois tirent le diable par la queue, et le cynisme de l’industrie de la mort (avec l’amant qui surveille les cancers en phase terminale dans les hôpitaux) n’est rien par rapport à l’absurdité du fonctionnement schizophrène de la société. La Chine fait cohabiter le pire du régime totalitaire et le pire de l’ultra libéralisme, à savoir le maintien de coutumes ancestrales insupportables (la femme doit honorer la dette de son mari), les passe-droits, la corruption, les voisines qui ragotent. Ceux qui ne s’en sortent pas abandonnent leurs enfants faute de pouvoir s’en occuper.

La mécanique est simple : la confrontation systématique avec la mort des autres ne fait qu’accentuer la nécessité ardente de s’occuper de soi. C’est le paradigme des régimes totalitaires, et l’arlésienne de l’ultra capitalisme. La solitude des individus ne trouve de palliatif ni dans la société traditionnelle ni dans la modernité.

L’industrie de la mort est un marché qui ne connait pas la crise. Et Mme Wang, qui n’est pas
« une femme respectable », devient une pleureuse à succès. Ce qui fait la force du film : c’est qu’il ose s’appesantir sur des plans de murs qui craquellent, sur des travelling qui suivent une femme dans un dédale de banlieue délabrée, et qu’il s’attarde sur des anciennes directrices d’opéra proche du coma éthylique, sans misérabilisme. C’est aussi la confrontation entre la grisaille et la sauvagerie du monde et le délitement de la jeune femme qui lutte maladroitement pour sauver son petit monde, avec un triste succès.

* dédicace à Nathalie qui remua tout Madrid pour me trouver une VHS en juin 2000.

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