lundi 31 mars 2008

Rendez-vous à Brick Lane, de Sarah Gavron

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C’est difficile de faire un film sur l’immigration. La graine et le mulet s’en sort pas mal, parce qu’Abdellatif Kechiche a clairement son idée sur la question et ne s’en laisse pas compter. La vie des immigrés, les différences de ceux qui sont pourtant perçus comme des « communautés » est une des reconquêtes du film de Kechiche. Où l’individu pousse et se débat pour s’extirper de la « communauté », avec autant de force qu’il faut pour s’extirper de l’image de l’étranger.
Le film de Kechiche disait qu’on sera toujours un immigré pour les autres. La carnation, les traits, l’accent, le nom font de vous un étranger ou un fils d’immigré dans les yeux d’autrui quel que soit sa propre appréhension de son intégration. Il disait par contre que l’immigré, longtemps et poliment considéré comme un sacrifié volontaire, pouvait tenter de récupérer son individualité à travers ses rêves, ses projets, ses erreurs personnelles. L’histoire d’un immigré n’était plus l’histoire de l’immigration mais l’histoire d’un individu. Et la figure de l’immigré pouvait redevenir un vrai sujet de film. L’employé de la mairie parle de M. Slimane et évoque « une belle aventure humaine » avec condescendance. Cette réflexion souligne ici que le personnage de l’émigré souffre d’un problème d’échelle au cinéma.
C’est un problème assez complexe qui est peu traité, soit en arrière plan (les morsures du l’ombre, soit sous tendu en séquelles de la deuxième génération (Long Way home). Globalement l’immigration reste une lame de fond romanesque qui broie les individualités comme le personnage d’Angie l’exploiteuse du « It’s a free world » de Ken Loach.
Autant d’attentes vis-à-vis du pays d’accueil, de perceptions et d’histoires individuelles trop souvent prises en compte dans des groupes vides de sens comme des sujets de thèses volontairement « englobants ».
Rendez-vous à Brick Lane est une tentative louable de traiter ce sujet mais pas suffisamment achevée. Louable grâce à une héroïne attachante (une jeune bangladeshi qui quitte son pays à 17 pour aller se marier en Angleterre avec un mari qu’on lui a choisit) et une interprétation de qualité. Quelques très beaux plans : des mains qui se tentent de se rejoindre derrière une vitre floue notamment. Tout se passe dans l’appartement familial dont la femme sort peu.
Insuffisante, car Rendez-vous à Brick Lane s’est imposé cette discipline qui consiste à vouloir être toujours dans la nuance pour parler de toutes ces histoires individuelles. Du coup le mari est tantôt un lâche, tantôt un héros de l’islam raisonné et tolérant. Mais sa conception de la liberté n’est pas la même que celle qu’il a de la liberté de la femme. Bien sûr.
Curieusement c’est un film timide, ou on veut dire trop de choses mais qui a une portée. Il met l’accent sur la reconquête de l’individualité par la femme, de la reconquête de son corps, de son indépendance financière, de sa liberté et rappelle avec douceur qu’elle est la maîtresse de son libre arbitre en toute situation. Le parallèle entre Nazneen et sa sœur restée au pays, double avec lequel elle correspond, les réminiscences de la figure de la mère, suicidée, chez cette jeune femme qui est elle-même mère de deux filles fait que Nazneen trouve des miroirs partout autour d’elle qui l’acculent à s’interroger sur sa vie. Bref on ne s’ennuie pas et c’est un joli propos. Courageux.

Crimes à Oxford, de Alex de la Iglesia

On ne croit pas au potentiel de chaque enfant !

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Alex de la Iglesia est l’auteur de deux comédies noires, originales et hilarantes, qui sont El Crimen Ferpecto, et La Comunidad. C’est un monsieur d’autant plus talentueux qu’il a exporté avec succès ses comédies « macabres » dont on attribuait parfois le mérite à la satire de la société espagnole. Il a montré ainsi qu’il y avait plus, et que son humour détonant était communicatif.

Ici Elijah Wood s’allie avec un vieux mathématicien défaitiste sur le pouvoir de la logique (John Hurt) pour résoudre des crimes dans la petite communauté matheuse et un peu dégénérée. Chaque indice offre au couple l’occasion de se poser des questions métaphysiques pas très glamour et on s’ennuie.

Parfois certaines scènes (le concert) et les personnages secondaires (la vieille fille hystérique et le jeune savant russe frustré) font penser à un épisode d’Arabesque, et la peur de voir surgir Miss Marple surajoute aux signes extérieurs d’angoisse cinématographique déjà largement présents.

A d’autre moment, des éclats de talent d’Alex de la Iglesia reviennent, un très long plan séquence qui suit les protagonistes, une blague, et cela pourrait générer de la dérision et du plaisir. Mais là-dessus l’intrigue mathématico-ésotérique reprend le dessus pour devenir épuisante et brouillon. Le duo du vieux et du jeune lasse et même Léonor Watling est réduite à la caricature de l’actrice espagnole dans un film non espagnol, à savoir pulpeuse, passablement hystérique et habillée comme Rossy de Palma au pire des années 1980.

En attendant Batman...

L'idée du site de Transformers était chouette (on on pouvait rentrer du côté des gentils transformers ou de celui des méchants, avec des animations customisées).

Cloverfield a été un lancement splendide grâce à la parfaite adéquation entre le materiaux supposé du film (vidéo amateur) et le lancement sur le média naturel de la vidéo amateur, Internet.


Voici : www.ibelieveinharveydent.com

Le dispositif :

Le Site de Harvey Dent, un habitant de Gottham City qui va devenir le terrible Double Face.
C'est super bien fait, on peut même y télécharger des bannières, voir le candidat et suivre son bus de campagne (un vrai!!) dans sa campagne américaine. On y trouve de vraies photos avec de vrais gens, des films avec des gens qui soutiennent Harvey Dent, du street marketing relayé donc, c'est à dire de la présence sur le terrain) avec des ARG (alternative reality game), qu 'on appelle aussi des jeux de pistes et qui, bien organisés et originaux, sont un fabuleux divertissement et un source de retombées presse gigantesque.
Le souci de réalisme du site est vraiment bluffant.

Pour récapituler Marketing Viral + Street Marketing + ARG + Talent =

Une exposition au film Batman (ici l'équivalent de la marque) via le site et le street permettent de recruter les fidèles de Batman, eux sont avides d'infos et de contenu et la marque à besoin d'ambassadeurs. La confusion réalité/ fiction (tellement fidèle à l'esprit Batman d'ailleurs) crée de la notoriété subite et communicative, c'est la cible -les ambassadeurs- qui transmettent les valeurs et le capital affectif de la marque Batman en militant pour Harvey Dent. La connivence créée avec de nouveaux publics est "naturelle", la marque est vecteur d'émotion, et les publics touché par les ambassadeurs sont infiniment mieux saisis.

Bravo.

jeudi 20 mars 2008

Hier au cinéma j ai vu une pub SCi-FI

C'est drôle, et le dispositif internet est marrant, un exemple réussi de marketing viral comme on dit dans le métier. Un advergame régressif ou on jette des cailloux sur des corbeaux qui sont méchants. Je ne sais pas si je vais réussir à inserer le film tout de suite alors je mets le lien dans un premier temps.

http://www.scifitv.fr/scifi/cache/

mercredi 19 mars 2008

Pour ceux qui n'ont pas encore vu Lust, Caution

http://fr.youtube.com/watch?v=wCx9QCnZo4E

lundi 17 mars 2008

10 000, de Roland Emmerich

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Je suis allée voir 10 000 essentiellement pour le splendide tigre "dent de sabre" qui se trouve sur l’affiche. Je n’étais pas contre un peu d’action, d’aventure et de violence avec de bons effets spéciaux distrayants.
A vue de nez on voit le tigre 92 secondes. C’est la première déception.
C’est vraiment un film cheap, mal interprété, avec des effets spéciaux indignes de Stargate (1995) du même Roland Emmerich et un peu communiste dans la pire acception du terme.

En gros les pauvres sont les gentils mais ils n’ont pas de chance et les salauds esclavagistes dégénérés sont ceux qui sont le plus avancés technologiquement au point que les autres peuplades les prennent pour des Dieux (méchants) et les subissent patiemment. Ce n’est pas rendre service aux faibles et aux "sous développés" que des les montrer sous un jour résigné et obscurantiste, dans l’attente de messie pour commencer à se dire qu’ils peuvent sauver leurs peaux.

Je me retrouve assez dans l’idée que l’idéologie dominante seule peut bouger les masses incultes et qu’il convient juste à un type un peu plus malin que les autres de changer l’idéologie dominante, malheureusement Fidel Castro aussi. Et on sait comment ça se termine.

jeudi 13 mars 2008

Be Kind, Rewind de Michel Gondry

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Desconstructing Harry (Woody Allen 1998) et Be Kind Rewind ont deux points communs. Le premier est que l’adaptation de leurs titres en français est calamiteuse : Harry dans tous ses états et Soyez Sympa, rembobinez. Le deuxième c’est que ces deux films constituent des hommages touchants des artistes à leur Art.

Be kind, rewind raconte l’histoire d’un vidéoclub tenu par M.Fletcher et son jeune apprenti (Mike) un peu benêt, dans une ville paumée du New Jersey. C’est la fin de l’ère VHS et le vidéo club, situé dans un immeuble historique convoité par des promoteurs immobiliers, est condamné à un fin proche.

Le copain looser de Mike, Jerry, magnétisé après avoir tenté de détruire une centrale électrique, a effacé toutes les cassettes. Les deux compères décident alors de retourner les films avec leur caméra pour avoir quelque chose à proposer aux rares clients du vidéo club qui anime la petite ville. Ils créent un genre bizarre, approximatif qu’ils dénomment films « suédés » qui vont connaître un grand succès.

Be Kind, Rewind c’est avant tout la multiplication des mises en abîmes : M. Fletcher avait raconté à Mike qu’un grand blues man était né dans l’immeuble du vidéo club pour l’endormir quand il était petit, renforçant ainsi le caractère sacré du lieu.
Les deux compères racontent aux filles qu’ils sont producteurs pour embaucher une jolie fille pour leurs tournages amateurs et se retrouvent avec une fausse moche en guise de troisième comparse (Mélonie Diaz qui jouait déjà très bien la fausse moche dans Long Way Home), renforçant le duo d’une efficace metteuse en scène.
A la fin, les habitués du vidéo club vont raconter l’histoire du Jazzman qui n’a pas vécu là (mais qui aurait pu) et produire un film pour tenter de sauver le vidéo club.

Chaque fois ce n’est pas tant le résultat qui compte, que le plaisir de construire des histoires.

Pour moi c’est un peu un choc ; j’ai toujours trouvé que Gondry était en lévitation entre deux univers. Le premier un peu niais : la pub GAP « hollidays », Air France «le Passage », La Science des rêves, le clip Mad World de Gary Jules. Une réalisation qui remporte à raison des prix publicitaires à Cannes, un magma de bonnes idées, de la tendresse qui affleure à chaque instant mais rien qui ne me pousse à me dire que Gondry avait plus qu’une patte indéniable.

L’autre univers est beaucoup sombre : la splendide pub « Mermaids » (1996) pour Levis, la « Drugstore » (1994) pour le même annonceur, Eternal Sunshine of a spotless mind, les clips des White Stripes. J’aimais beaucoup plus mais je soupçonnais Gondry, porté par des univers plus virulents que le sien, plus sombres, par l’aura dépressivo-romantique de Jim Carrey de s’être dépassé dans des univers dont il n’était pas totalement le maître. En ces occasions, il se servait de sa pate (collages animés, ellipses, jaillissement d’objets, mixage imperceptible ou sur accentués du réel et du rêvé) avec une parcimonie qui servait un propos plus noir et plus profond.

Mais Gondry donne ici la mesure de son talent assumé. Sous des airs de film potache, il plaide pour les gens qui savent raconter des histoires, et il clame haut et fort que c’est la beauté de son métier ; et raconter des histoires est une gageure d’autant plus belle qu’elle est non pas l’apanage de tous, mais le rêve que chacun caresse et embrasse quand il va au cinéma (ici au vidéo club.)

Le jeu de Mike et Jerry qui reproduisent leurs films cultes c’est un plaisir identique à celui des enfants qui jouent « à la guerre », « à la marchande », « aux cow-boys », c’est un plaisir désinhibé et sincère, c’est bien pour cela que leurs effets spéciaux sidérants recueillent tant d’adhésion.

Il y a aussi quelque chose de désarmant dans le fait de rappeler sans pathos que le cinéma est un véritable art populaire. Qu’il est soutenu par des vrais gens : l’opposition entre les habitants du quartier et les représentants de studio hollywoodien est significative et très drôle (et Sigourney Weaver est formidable comme à son habitude). Qu’il vit dans des banlieues ou l’on s’ennuie et où le cinéma, dans sa forme originelle, en VHS ou en DVD, est divertissement, culture, transmission, liant et lien social.

A la fin de Desconstructed Harry, Harry-Woody, abandonné par femme, sœur, maîtresse, éditeur et succès se voyait décerner un hommage par les personnages de fiction qu’il avait créés. Réunis dans un amphithéâtre de l’université où il devait initialement recevoir une distinction honorifique s’il n’avait kidnappé son propre fils avec le soutien psychologique d’une prostituée, ils l’applaudissaient à tout rompre, avec des regards complices, le remerciant de leur avoir donné vie. Toutes les misères existentielles (pourtant nombreuses dans l’univers de Woody Allen) s’effaçaient pendant un très bel instant.

Le final de Be Kind, Rewind est aussi bien.

Pour voir la pub Mermaids Levi’s :

http://fr.youtube.com/watch?v=MZe0XYwC_7w

Pub Drugstore Levi’s

http://fr.youtube.com/watch?v=Uj6G1C6c0uw


mercredi 5 mars 2008

La Famille Savage, Tamara Jenkins

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C’est un joli petit film qui traite d’un sujet sérieux et douloureux. Un frère et une sœur de la quarantaine doivent prendre en charge un père vieillissant et dément qui les a plus ou moins abandonnés. Il affleure avec une certaine délicatesse l’idée qu’on n’arrive pas à se construire quand on n’a pas réglé ses problèmes de filiation, et qu’une fois ceux-ci réglés on peut en avoir beaucoup d’autres quand même. La photographie est belle et mélancolique (générique du début incroyablement surprenant), la musique déroutante et originale.

Ce qui m’a surtout plu c’est la manière dont la famille est abordée, entre le frère et la sœur, avec leurs complicités, leurs non-dits, leurs références communes et leur amour discret. Tamara Jenkins montre des liens indéfectibles, certains sont connus : un souvenir, un rejet commun du père, une rivalité littéraire. D’autres sont impalpables même par les intéressés
(une capacité au pétage de plomb, la peur de s’engager, de réussir, le manque de confiance en soi).

Enfin, Philip Seymour Hoffman est décidément un acteur éblouissant de justesse, on est heureux de le voir souvent ces temps-ci, dans 7h 58 ce samedi là et La famille Savage, mais aussi en deuxième rôle dans la Guerre selon Charlie Wilson auquel il offre l’essentiel des scènes comiques qui ne sont pas basées sur des blondes à gros seins.

Cloverfield, Matt Reeves


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Ce que j’aime bien chez les américains, c’est leur capacité à se rendre hommage perpétuellement, avec la tendresse de l’ado en chacun d’eux; ici, Matt Reeves revisite le film catastrophe avec une prétention presque touchante : faire un vrai et un bon film catastrophe. Et il ne réussit pas trop mal.

Dans Cloverfield, la seule chose qu’on ne comprend pas c’est le titre. Le débat n’est pas là : Cloverfield est un divertissement pour grande personnes, ce qu’on appelle en anglais « Entertainment ». C’est comme la foire du trône en mieux fréquenté. Ce qui est une gageure avec un pitch goziellesque (un monstre détruit NY) et un budget ridicule pour un film avec un monstre (Transformers divisé par 3)

Le film catastrophe est un genre trop peu estimé. Et pour cause, le film catastrophe souffre d’une maladie génétique. Il divertit parce qu’il fait peur. Du coup on y a souvent adjoint des composantes plus rassembleuses, mauvaise histoire d’amour (La tour Infernale), pathos familial (La guerre des mondes), présence d’enfant (Le pic de Dante). On sait que les enfants font vendre, mais tout ceci gâche scrupuleusement ce qui constitue le charme réel du film catastrophe.

Matt Reeves a bien appris sa leçon. On découvre une demi-heure les protagonistes via la caméra DV du type qui filme le pot de départ de Rob en partance pour le Japon, et franchement, on ne s’y attache guère, ils sont sympas, new-yorkais mais on n’a pas vraiment pas envie de les connaître plus avant quand ils montent sur le toit voir la grosse explosion générée par le monstre et que tout commence à déraper.

Dans des circonstances qu’on ne racontera pas, Rob décide d’aller chercher la fille qu’il aime, (on l’apprend sur la bande entremêlée dans le caméscope) et avec qui il s’est brouillé avant l’attaque. Il repart donc dans le centre de Manhattan. Sentimentalisme ? Ressort romanesque efficace. Le film catastrophe prend alors son sens, où se confronte la lutte pour la survie et l’humanité (les protagonistes se demandent régulièrement d’où vient la bête, on ne le saura pas et on s’en fout), le gigantesque (le monstre) et les humains qui se carapatent comme des cafards.

Et là, le principe du film caméra DV devient redoutable, parce qu’il crédibilise les fuites éperdues dans New York, les carnages horribles morcelés du monstre et des mini monstres qu’il crache.

Ces temps-ci, ça devient de plus en plus en plus difficile à suivre ces films qui font peur où la caméra omniprésente et surnuméraire se fait un protagoniste intrusif. Et puis surtout, la peur est tellement plus crédible du point de vue de l’humain-proie. Les images montrées par les proies ont beau êtres partielles (le film ne peut se passer qu’a NY qui permet quand même quelques vues impressionnantes de haut), on n’a pas le sentiment que c’est un effet de style.

Une heure plus tard les gens fument leur cigarette devant le cinéma d’un air désabusé et se demandent d’où vient la vilaine bestiole (comme les protagonistes) et ne trouvent pas cela bien crédibles. Sauf qu’ils ont passé la séance à sursauter et à se terrer sous leurs sièges (comme les gens dans le film qui se terrent dans un tunnel pour ne pas mourir mangés), pris dans les effets de manche de la caméra DV qui passe en mode vision infrarouge dans le métro.

Nous européens sommes des autistes de l’émotionnel et encore plus à ses fonctions cathartiques (40 ans pour faire 5 films sur la guerre d’Algérie…). Ce n’est pas le cas des américains, et eux ont un recours décomplexé à l’auto psychanalyse. Cloverfield n’est pas un film sur le 11 septembre mais certaines images sont troublantes (gens errants dans les rues enfumées, Chrysler building qui s’effondre comme un château de carte). Ce n’est bien sûr pas anodin. On se confronte à nos peurs profondes (« C’est une autre attaque terroriste ? » demande quelqu’un au début). A ce qu’elles ont de traumatisantes, d’aveugles et de totalement impensables.

Le bête permet de dire l’incompréhension et la violence du traumatisme, car le 11 septembre est un tout destructeur dans notre inconscient collectif, on a trop tendance à l’oublier et à classer dans l’Histoire ce qui fait encore partie de la Mémoire. La mémoire vive c’est la caméra, qui enlace le normal (l’histoire d’amour avec la fille) et l’indicible qui désormais, cohabitent dans notre génération qu’on le veuille ou pas.

Bref Cloverfield est plutôt une belle prouesse, un bon divertissement, un film catastrophe sans prétentions familiales et moralistes (du style : l’homme est capable de se dépasser pour aller poser une bombe sur un Astéroïde quand il le faut vraiment). Ce qui reste d’humanité c’est avant tout l’impossibilité d’être seul, et surtout de mourir seul.

Après le 11 septembre, le nombre de mariages et de naissances a augmenté. Les entreprises de speeddating, cookdating sont devenues des affaires fructueuses dans la ville du célibat roi, les gens ont pris l’habitude de prendre des nouvelles de leurs voisins. Ce sont les sociologues qui le disent. Je crois que la quête de la femme que Rob aime, et l’aveuglement suicidaire de ses amis qui décident de l’accompagner parle de ça. Cloverfield a le mérite de s’intéresser aux effets des grands traumatismes sur les quidams, et à leur regain simple et déroutant d’humanité. C’est un assez joli propos pour un film catastrophe.

Lust, Caution, Ang Lee


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Un très bon ami à moi a dit que le film confirmait sa vision machiste et rétrograde de la vie et des femmes, à savoir qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent.

Je crois au contraire que les femmes savent ce qu’elles veulent mais qu’elles ont bien du mal à l’obtenir car la Société, l’Histoire et les hommes les ont instrumentalisées (au sens propre). Et qu’on ne sort pas de millénaires de domination masculine en claquant des doigts, ni maintenant, et encore moins en 1940 en Chine occupée par le Japon. C’est le propos de Lust, Caution.

Mais voici Ang Lee qui passe sa première heure à nous faire un film descriptif, quasi linéaire, beau, très beau et on s’ennuie en se disant que le Zhang Yimou de la période Epouse et concubine faisait ça aussi bien, sauf que là il s’agit d’une étudiante. Et puis on nous avait vendu une histoire d’espionnage et de deuxième guerre mondiale, et on se retrouve avec une bande d’étudiants rêveurs qui jouent les apprentis communistes, espions, acteurs, qui traquent un type dont on connait les accointances avec le régime même pas encore place. La première heure ne convainc pas plus que les manigances du club des 6 pour s’approcher de M.Yee (le très très classe Tony Leung) et le tuer.

Et puis j’ai compris. Il s’agit là d’un film d’amour, parce qu’Ang Lee est un grand romantique. La première heure, c’est la transformation de l’étudiante en Matahari. C’est le théâtre étudiant auquel on va pour plaire au joli garçon de la bande, bref c’est la jeunesse et l’insouciance.

Sauf qu’il ne se passe rien avec le joli garçon dans cette première partie, et quand il revient, trois ans plus tard, c’est pour faire reprendre du service à l’actrice-espionne, auprès de M. Yee cette fois-ci devenu super collabo en chef, dont elle tombe éperdument amoureuse.

Depuis le début, cette jeune femme voulait qu’on l’aime, et là voici manipulée par ses camarades, sa patrie, des communistes à qui cela ne pose pas de problème de la mettre en danger, car elle n’est considérée que comme une arme de plus, un instrument gênant qu’il ne faudra pas oublier de faire disparaître pour que l’Histoire garde la tête haute; sauf qu’à force de faire ce qu’on attend d’elle, elle va finir par aimer le seul qui l’aime vraiment, même s’il est méchant. D’ailleurs la deuxième partie du film évolue graphiquement, les couleurs sont plus chaudes, les contrastes moins forts, les plans séquences plus longs, les gros plans sur les détails plus nombreux…c’est le côté Nouveau Roman de Ang Lee, en plus beau : là ou on dirait qu’une femme se peigne un sourcil, on sent le bouillonnement d’une force gigantesque qui va annuler tout le reste.

A cet égard, deux éléments fondamentaux : les scènes de sexes (la réappropriation par les être du corps comme réappropriation de leurs individualités niées par l’Histoire), et la scène ou Wang Chai Chi chante pour M.Yee une chanson d’amour chinoise dans un bordèle japonais. Ces scènes nous reconfirment : que l’amour abolit les limites entre le bien, le mal, le moral et l’immoral, le normal et l’anormal et s’insinue avec une force qui fait s’estomper tout le reste.

La Chanson de Wang Chai Chi est un acte héroïque en ce lieu, une dangereuse provocation vis-à-vis de son amant-collabo, une bêtise d’infiltrée débutante, mais son pouvoir annihile tout autre effet que l’émotion suscitée. Ang Lee défend ici le très beau propos selon lequel les objets, les valeurs, comme le ciel et la terre, qui se mettent à prendre souvent la même couleur dans la deuxième partie du film, mais aussi les enjeux temporels se confondent et se replient sous le poids des sentiments.

Mon espoir se porte sur le fait que ce que voulait Wang Chai Chi depuis le tout début, c’était être aimée. Et en sauvant l’homme qu’elle aime, au prix le plus fort, elle lève son majeur à la Société, à l’Histoire et aux Hommes, et elle n’est fidèle qu’à elle-même et à la jeune fille fleur bleue et résolue du début. C’est rare, c’est immoral. Mais c’est original, et résolument féministe pour qui pense que la quête de l’égalité passe par la reconquête par la femme de son individualité.

Sweeney Todd, de Tim Burton


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Sweeney Todd pose la question d’un changement bien plus radical qu’il n’y parait dans la carrière de Tim Burton. Première raison à cela, Sweeney Todd est une tragédie.

Comme toute tragédie qui se respecte, Sweeney Todd raconte comment le destin s’abat inévitablement sur des êtres en prenant appui sur l’accumulation de leurs bassesses et en empruntant le chemin de la perte progressive de l’humanité.

A croire que Tim Burton n’a plus d’espoir et filme des âmes errantes qui commettent les erreurs qu’elles devaient commettre, puis doivent, comme le veut le genre, les expier. C’est le lot de Sweeney Todd (de Johnny Depp on dira qu’il est ineffable), barbier à qui on a volé sa femme, sa fille et sa jolie vie. Le méchant Juge Turpin (Alan Rickman s’insère dans le théâtre de Tim Burton avec son élégance et son efficacité habituelle) l’a envoyé au bagne et quand il revient, on lui annonce que sa femme est morte et que sa fille devenue la pupille du juge, vit cloitrée. Et comme la violence amène la violence, Sweeney Todd reporte sur l’humanité sa vengeance ratée, et devient un serial killer entrainé dans une spirale infernale dont il ressort forcement défait.

Les autres protagonistes sont tout autant enfermés dans leur destin. La cuisinière qui se prend d’affection pour Swenney Todd, Helena Bonham Carter, s’enferme et s’enfonce dans ses mensonges et ses problèmes de conjoncture alimentaire et sentimentale.

Burton respecte les lois du genre « ce conclave infini (et infiniment stérile) qu’est toute tragédie *», la tragédie et leur immoralité, ou leur moralité ?

C’est là que se pose mon problème majeur :

Et si la force du film, c’était d’emmener le spectateur malgré lui vers les différentes expiations, à commencer par celle de notre irrépressible envie de happy end ? Et de faire ainsi agir la fonction cathartique de la tragédie ? Car Sweeney Todd nous jette à la figure notre propre indécence, qui voudrait que le tueur en série s’amende, ou pour le moins qu’il accomplisse sa vengeance (la tragédie n’est pas le lieu de la loi des hommes), qu’il échange une accolade avec sa fifille, tout en niaiserie et en blondeur. Or ce n’est pas possible car le mal est fait avant que le film commence. Rien ne nous permet d’éprouver de la compassion pour Sweeney Todd ni pour les autres.

Le monde de Tim Burton à la direction artistique irréprochable, grise et sang, aurait elle prit le même chemin que le petit Vincent, héros de son court métrage de 1982, qui happé par sa fascination pour le mortifère, succombait à ses peurs et aux monstres qu’il avait imaginé ?

Si c’est le cas, on ne peut pas reprocher à Tim Burton d’évoluer vers une vision de l’humanité plus noire et plus prédestinée.

Je reste cependant persuadée que Tim Burton est moins bon dans la tragédie que dans le conte. Son cinéma perd en force ici. A cause du livret et de la musique de la comédie musicale adaptée de Stephen Sondheim qui sont un peu faibles peut-être. Mais pas seulement. Car Tim Burton excelle à chaque fois qu'il se fait le conteur et le poète des montres, et l'incroyable galeries de personnages de Sweeney Todd est un sacré musée des horreurs.

Pourtant est absent ici un des moteurs romanesques, esthétiques et essentiel à l'oeuvre de Tim Burton. LA capacité à triturer l'étrange et les monstres (L'etrange Noël de Mr Jack, Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, Batman, Edward aux mains d'argents, La triste fin du petit enfant huître), non avec tendresse, mais dans une démarche de recherche d'éléments d'humanité qui touche le coeur du spectateur que je suis.

* Roland Barthes, Sur Racine