lundi 31 mars 2008

Rendez-vous à Brick Lane, de Sarah Gavron

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C’est difficile de faire un film sur l’immigration. La graine et le mulet s’en sort pas mal, parce qu’Abdellatif Kechiche a clairement son idée sur la question et ne s’en laisse pas compter. La vie des immigrés, les différences de ceux qui sont pourtant perçus comme des « communautés » est une des reconquêtes du film de Kechiche. Où l’individu pousse et se débat pour s’extirper de la « communauté », avec autant de force qu’il faut pour s’extirper de l’image de l’étranger.
Le film de Kechiche disait qu’on sera toujours un immigré pour les autres. La carnation, les traits, l’accent, le nom font de vous un étranger ou un fils d’immigré dans les yeux d’autrui quel que soit sa propre appréhension de son intégration. Il disait par contre que l’immigré, longtemps et poliment considéré comme un sacrifié volontaire, pouvait tenter de récupérer son individualité à travers ses rêves, ses projets, ses erreurs personnelles. L’histoire d’un immigré n’était plus l’histoire de l’immigration mais l’histoire d’un individu. Et la figure de l’immigré pouvait redevenir un vrai sujet de film. L’employé de la mairie parle de M. Slimane et évoque « une belle aventure humaine » avec condescendance. Cette réflexion souligne ici que le personnage de l’émigré souffre d’un problème d’échelle au cinéma.
C’est un problème assez complexe qui est peu traité, soit en arrière plan (les morsures du l’ombre, soit sous tendu en séquelles de la deuxième génération (Long Way home). Globalement l’immigration reste une lame de fond romanesque qui broie les individualités comme le personnage d’Angie l’exploiteuse du « It’s a free world » de Ken Loach.
Autant d’attentes vis-à-vis du pays d’accueil, de perceptions et d’histoires individuelles trop souvent prises en compte dans des groupes vides de sens comme des sujets de thèses volontairement « englobants ».
Rendez-vous à Brick Lane est une tentative louable de traiter ce sujet mais pas suffisamment achevée. Louable grâce à une héroïne attachante (une jeune bangladeshi qui quitte son pays à 17 pour aller se marier en Angleterre avec un mari qu’on lui a choisit) et une interprétation de qualité. Quelques très beaux plans : des mains qui se tentent de se rejoindre derrière une vitre floue notamment. Tout se passe dans l’appartement familial dont la femme sort peu.
Insuffisante, car Rendez-vous à Brick Lane s’est imposé cette discipline qui consiste à vouloir être toujours dans la nuance pour parler de toutes ces histoires individuelles. Du coup le mari est tantôt un lâche, tantôt un héros de l’islam raisonné et tolérant. Mais sa conception de la liberté n’est pas la même que celle qu’il a de la liberté de la femme. Bien sûr.
Curieusement c’est un film timide, ou on veut dire trop de choses mais qui a une portée. Il met l’accent sur la reconquête de l’individualité par la femme, de la reconquête de son corps, de son indépendance financière, de sa liberté et rappelle avec douceur qu’elle est la maîtresse de son libre arbitre en toute situation. Le parallèle entre Nazneen et sa sœur restée au pays, double avec lequel elle correspond, les réminiscences de la figure de la mère, suicidée, chez cette jeune femme qui est elle-même mère de deux filles fait que Nazneen trouve des miroirs partout autour d’elle qui l’acculent à s’interroger sur sa vie. Bref on ne s’ennuie pas et c’est un joli propos. Courageux.

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