lundi 7 juillet 2008

Valse avec Bachir, d’Ari Folman

Mémoire Vive ? ++++

On savait la mémoire traitresse. Le science & vie de ce moi-ci nous explique qu’il est prouvé qu’elle efface et arrange certains événements de manière à laisser notre moi vivre un peu en paix.

Ari Folman a 40 ans et il se rend compte qu’il n’a plus de souvenir de son service pendant la guerre du Liban. Il enquête alors auprès de ses camarades de l’armée, de son psy. Et c’est toute la mémoire collective israélienne qu’il interroge.

Lucidité terrifiante. Bien sûr l’enquête n’est pas simple. Les pistes sont des rêves, des hallucinations, des récits de seconde main. La topographie des copains et des spécialistes ajoute des éléments non linéaires dans les méandres encore moins linéaires de l’inconscient, et de la multiplicité des récits existants. La reconstitution se fait, peu à peu. Elle reste subjective, la vision l’était déjà en 1982. Le passé individuel du soldat Folman, de ses copains, face à l’histoire, factuelle, inévitable. L’entrée dans Beyrouth, la mort de Gemayel, Sabra et Chatila.

C’est l’élasticité entre les deux qui est remarquablement créée par Folman, grâce à l’animation, qui se base parfois sur des séquences tournées, d'autres fosi sur de l'animation basée sur le scénario. Grâce à la musique, qui rétablit à sa manière la vérité subjective ressentie à l’époque. Grâce à une foule de trouvailles, telles les couleurs spécifiques à certains moments et à certaines émotions, telles les voix off et les coupures dans la narration… Cette élasticité se fait grâce au biais du travail entre mémoire individuelle et mémoire collective, et finit, avec Sabrah et Chatila, par des images d’archives, qui ôtent du spectateur toute tentation de se bercer d’illusions cinématographiques, avec la même fonction anti-cathartique que les photos de cadavres et de blessés à la fin de Redacted de Brian de Palma.

La somme des mémoires individuelles est constitutive de la mémoire collective. Elle puise dans l’histoire personnelle de chacun, et érige un moment supplémentaire, qui est tout à la fois culpabilité du survivant, conscience de l’absurdité de la guerre, découverte de la barbarie du monde, de la peur en soi.

Elle est une somme de ressentis, d’expériences, et ce que dit Folman et que j’ai trouvé très beau, c’est que c’est ce magma, plein de vie, de cicatrices ouvertes, d’espoirs aussi, interroge ce que sera l’histoire, mais ne peut en juger.

Car le temps est encore celui de la mémoire. Les témoins, même amnésiques, sont là et bien là. Bref c’est une tentative psychanalytique gigantesque, qui part de l’individu pour arriver à la Nation Israélienne, avec une absence de prétention remarquable.

C’est un beau film enfin sur la diversité des outils du cinéma qui n’en finit pas d’évoluer, et n’est jamais aussi pertinente que pour faire un nouveau travail, ici un travail analytique. Folman crée de l’étrangeté dans son mode de récit pour se lancer dans une démarche nouvelle. Son récit à la force des inconscients, de leur subjectivité et de leur capacité créatrice. C’est peut être le sens du titre du film Valse avec Bachir, qui rappelle une scène centrale du film ou le réel et le récit se mélangent à l’infini mais qu’il ne faut pas raconter. Pour l'instant c'est le meilleur film de l'année.

Aucun commentaire: