mercredi 5 mars 2008

Sweeney Todd, de Tim Burton


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Sweeney Todd pose la question d’un changement bien plus radical qu’il n’y parait dans la carrière de Tim Burton. Première raison à cela, Sweeney Todd est une tragédie.

Comme toute tragédie qui se respecte, Sweeney Todd raconte comment le destin s’abat inévitablement sur des êtres en prenant appui sur l’accumulation de leurs bassesses et en empruntant le chemin de la perte progressive de l’humanité.

A croire que Tim Burton n’a plus d’espoir et filme des âmes errantes qui commettent les erreurs qu’elles devaient commettre, puis doivent, comme le veut le genre, les expier. C’est le lot de Sweeney Todd (de Johnny Depp on dira qu’il est ineffable), barbier à qui on a volé sa femme, sa fille et sa jolie vie. Le méchant Juge Turpin (Alan Rickman s’insère dans le théâtre de Tim Burton avec son élégance et son efficacité habituelle) l’a envoyé au bagne et quand il revient, on lui annonce que sa femme est morte et que sa fille devenue la pupille du juge, vit cloitrée. Et comme la violence amène la violence, Sweeney Todd reporte sur l’humanité sa vengeance ratée, et devient un serial killer entrainé dans une spirale infernale dont il ressort forcement défait.

Les autres protagonistes sont tout autant enfermés dans leur destin. La cuisinière qui se prend d’affection pour Swenney Todd, Helena Bonham Carter, s’enferme et s’enfonce dans ses mensonges et ses problèmes de conjoncture alimentaire et sentimentale.

Burton respecte les lois du genre « ce conclave infini (et infiniment stérile) qu’est toute tragédie *», la tragédie et leur immoralité, ou leur moralité ?

C’est là que se pose mon problème majeur :

Et si la force du film, c’était d’emmener le spectateur malgré lui vers les différentes expiations, à commencer par celle de notre irrépressible envie de happy end ? Et de faire ainsi agir la fonction cathartique de la tragédie ? Car Sweeney Todd nous jette à la figure notre propre indécence, qui voudrait que le tueur en série s’amende, ou pour le moins qu’il accomplisse sa vengeance (la tragédie n’est pas le lieu de la loi des hommes), qu’il échange une accolade avec sa fifille, tout en niaiserie et en blondeur. Or ce n’est pas possible car le mal est fait avant que le film commence. Rien ne nous permet d’éprouver de la compassion pour Sweeney Todd ni pour les autres.

Le monde de Tim Burton à la direction artistique irréprochable, grise et sang, aurait elle prit le même chemin que le petit Vincent, héros de son court métrage de 1982, qui happé par sa fascination pour le mortifère, succombait à ses peurs et aux monstres qu’il avait imaginé ?

Si c’est le cas, on ne peut pas reprocher à Tim Burton d’évoluer vers une vision de l’humanité plus noire et plus prédestinée.

Je reste cependant persuadée que Tim Burton est moins bon dans la tragédie que dans le conte. Son cinéma perd en force ici. A cause du livret et de la musique de la comédie musicale adaptée de Stephen Sondheim qui sont un peu faibles peut-être. Mais pas seulement. Car Tim Burton excelle à chaque fois qu'il se fait le conteur et le poète des montres, et l'incroyable galeries de personnages de Sweeney Todd est un sacré musée des horreurs.

Pourtant est absent ici un des moteurs romanesques, esthétiques et essentiel à l'oeuvre de Tim Burton. LA capacité à triturer l'étrange et les monstres (L'etrange Noël de Mr Jack, Sleepy Hollow, la légende du cavalier sans tête, Batman, Edward aux mains d'argents, La triste fin du petit enfant huître), non avec tendresse, mais dans une démarche de recherche d'éléments d'humanité qui touche le coeur du spectateur que je suis.

* Roland Barthes, Sur Racine

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