jeudi 13 mars 2008

Be Kind, Rewind de Michel Gondry

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Desconstructing Harry (Woody Allen 1998) et Be Kind Rewind ont deux points communs. Le premier est que l’adaptation de leurs titres en français est calamiteuse : Harry dans tous ses états et Soyez Sympa, rembobinez. Le deuxième c’est que ces deux films constituent des hommages touchants des artistes à leur Art.

Be kind, rewind raconte l’histoire d’un vidéoclub tenu par M.Fletcher et son jeune apprenti (Mike) un peu benêt, dans une ville paumée du New Jersey. C’est la fin de l’ère VHS et le vidéo club, situé dans un immeuble historique convoité par des promoteurs immobiliers, est condamné à un fin proche.

Le copain looser de Mike, Jerry, magnétisé après avoir tenté de détruire une centrale électrique, a effacé toutes les cassettes. Les deux compères décident alors de retourner les films avec leur caméra pour avoir quelque chose à proposer aux rares clients du vidéo club qui anime la petite ville. Ils créent un genre bizarre, approximatif qu’ils dénomment films « suédés » qui vont connaître un grand succès.

Be Kind, Rewind c’est avant tout la multiplication des mises en abîmes : M. Fletcher avait raconté à Mike qu’un grand blues man était né dans l’immeuble du vidéo club pour l’endormir quand il était petit, renforçant ainsi le caractère sacré du lieu.
Les deux compères racontent aux filles qu’ils sont producteurs pour embaucher une jolie fille pour leurs tournages amateurs et se retrouvent avec une fausse moche en guise de troisième comparse (Mélonie Diaz qui jouait déjà très bien la fausse moche dans Long Way Home), renforçant le duo d’une efficace metteuse en scène.
A la fin, les habitués du vidéo club vont raconter l’histoire du Jazzman qui n’a pas vécu là (mais qui aurait pu) et produire un film pour tenter de sauver le vidéo club.

Chaque fois ce n’est pas tant le résultat qui compte, que le plaisir de construire des histoires.

Pour moi c’est un peu un choc ; j’ai toujours trouvé que Gondry était en lévitation entre deux univers. Le premier un peu niais : la pub GAP « hollidays », Air France «le Passage », La Science des rêves, le clip Mad World de Gary Jules. Une réalisation qui remporte à raison des prix publicitaires à Cannes, un magma de bonnes idées, de la tendresse qui affleure à chaque instant mais rien qui ne me pousse à me dire que Gondry avait plus qu’une patte indéniable.

L’autre univers est beaucoup sombre : la splendide pub « Mermaids » (1996) pour Levis, la « Drugstore » (1994) pour le même annonceur, Eternal Sunshine of a spotless mind, les clips des White Stripes. J’aimais beaucoup plus mais je soupçonnais Gondry, porté par des univers plus virulents que le sien, plus sombres, par l’aura dépressivo-romantique de Jim Carrey de s’être dépassé dans des univers dont il n’était pas totalement le maître. En ces occasions, il se servait de sa pate (collages animés, ellipses, jaillissement d’objets, mixage imperceptible ou sur accentués du réel et du rêvé) avec une parcimonie qui servait un propos plus noir et plus profond.

Mais Gondry donne ici la mesure de son talent assumé. Sous des airs de film potache, il plaide pour les gens qui savent raconter des histoires, et il clame haut et fort que c’est la beauté de son métier ; et raconter des histoires est une gageure d’autant plus belle qu’elle est non pas l’apanage de tous, mais le rêve que chacun caresse et embrasse quand il va au cinéma (ici au vidéo club.)

Le jeu de Mike et Jerry qui reproduisent leurs films cultes c’est un plaisir identique à celui des enfants qui jouent « à la guerre », « à la marchande », « aux cow-boys », c’est un plaisir désinhibé et sincère, c’est bien pour cela que leurs effets spéciaux sidérants recueillent tant d’adhésion.

Il y a aussi quelque chose de désarmant dans le fait de rappeler sans pathos que le cinéma est un véritable art populaire. Qu’il est soutenu par des vrais gens : l’opposition entre les habitants du quartier et les représentants de studio hollywoodien est significative et très drôle (et Sigourney Weaver est formidable comme à son habitude). Qu’il vit dans des banlieues ou l’on s’ennuie et où le cinéma, dans sa forme originelle, en VHS ou en DVD, est divertissement, culture, transmission, liant et lien social.

A la fin de Desconstructed Harry, Harry-Woody, abandonné par femme, sœur, maîtresse, éditeur et succès se voyait décerner un hommage par les personnages de fiction qu’il avait créés. Réunis dans un amphithéâtre de l’université où il devait initialement recevoir une distinction honorifique s’il n’avait kidnappé son propre fils avec le soutien psychologique d’une prostituée, ils l’applaudissaient à tout rompre, avec des regards complices, le remerciant de leur avoir donné vie. Toutes les misères existentielles (pourtant nombreuses dans l’univers de Woody Allen) s’effaçaient pendant un très bel instant.

Le final de Be Kind, Rewind est aussi bien.

Pour voir la pub Mermaids Levi’s :

http://fr.youtube.com/watch?v=MZe0XYwC_7w

Pub Drugstore Levi’s

http://fr.youtube.com/watch?v=Uj6G1C6c0uw


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