mercredi 5 mars 2008

Lust, Caution, Ang Lee


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Un très bon ami à moi a dit que le film confirmait sa vision machiste et rétrograde de la vie et des femmes, à savoir qu’elles ne savent pas ce qu’elles veulent.

Je crois au contraire que les femmes savent ce qu’elles veulent mais qu’elles ont bien du mal à l’obtenir car la Société, l’Histoire et les hommes les ont instrumentalisées (au sens propre). Et qu’on ne sort pas de millénaires de domination masculine en claquant des doigts, ni maintenant, et encore moins en 1940 en Chine occupée par le Japon. C’est le propos de Lust, Caution.

Mais voici Ang Lee qui passe sa première heure à nous faire un film descriptif, quasi linéaire, beau, très beau et on s’ennuie en se disant que le Zhang Yimou de la période Epouse et concubine faisait ça aussi bien, sauf que là il s’agit d’une étudiante. Et puis on nous avait vendu une histoire d’espionnage et de deuxième guerre mondiale, et on se retrouve avec une bande d’étudiants rêveurs qui jouent les apprentis communistes, espions, acteurs, qui traquent un type dont on connait les accointances avec le régime même pas encore place. La première heure ne convainc pas plus que les manigances du club des 6 pour s’approcher de M.Yee (le très très classe Tony Leung) et le tuer.

Et puis j’ai compris. Il s’agit là d’un film d’amour, parce qu’Ang Lee est un grand romantique. La première heure, c’est la transformation de l’étudiante en Matahari. C’est le théâtre étudiant auquel on va pour plaire au joli garçon de la bande, bref c’est la jeunesse et l’insouciance.

Sauf qu’il ne se passe rien avec le joli garçon dans cette première partie, et quand il revient, trois ans plus tard, c’est pour faire reprendre du service à l’actrice-espionne, auprès de M. Yee cette fois-ci devenu super collabo en chef, dont elle tombe éperdument amoureuse.

Depuis le début, cette jeune femme voulait qu’on l’aime, et là voici manipulée par ses camarades, sa patrie, des communistes à qui cela ne pose pas de problème de la mettre en danger, car elle n’est considérée que comme une arme de plus, un instrument gênant qu’il ne faudra pas oublier de faire disparaître pour que l’Histoire garde la tête haute; sauf qu’à force de faire ce qu’on attend d’elle, elle va finir par aimer le seul qui l’aime vraiment, même s’il est méchant. D’ailleurs la deuxième partie du film évolue graphiquement, les couleurs sont plus chaudes, les contrastes moins forts, les plans séquences plus longs, les gros plans sur les détails plus nombreux…c’est le côté Nouveau Roman de Ang Lee, en plus beau : là ou on dirait qu’une femme se peigne un sourcil, on sent le bouillonnement d’une force gigantesque qui va annuler tout le reste.

A cet égard, deux éléments fondamentaux : les scènes de sexes (la réappropriation par les être du corps comme réappropriation de leurs individualités niées par l’Histoire), et la scène ou Wang Chai Chi chante pour M.Yee une chanson d’amour chinoise dans un bordèle japonais. Ces scènes nous reconfirment : que l’amour abolit les limites entre le bien, le mal, le moral et l’immoral, le normal et l’anormal et s’insinue avec une force qui fait s’estomper tout le reste.

La Chanson de Wang Chai Chi est un acte héroïque en ce lieu, une dangereuse provocation vis-à-vis de son amant-collabo, une bêtise d’infiltrée débutante, mais son pouvoir annihile tout autre effet que l’émotion suscitée. Ang Lee défend ici le très beau propos selon lequel les objets, les valeurs, comme le ciel et la terre, qui se mettent à prendre souvent la même couleur dans la deuxième partie du film, mais aussi les enjeux temporels se confondent et se replient sous le poids des sentiments.

Mon espoir se porte sur le fait que ce que voulait Wang Chai Chi depuis le tout début, c’était être aimée. Et en sauvant l’homme qu’elle aime, au prix le plus fort, elle lève son majeur à la Société, à l’Histoire et aux Hommes, et elle n’est fidèle qu’à elle-même et à la jeune fille fleur bleue et résolue du début. C’est rare, c’est immoral. Mais c’est original, et résolument féministe pour qui pense que la quête de l’égalité passe par la reconquête par la femme de son individualité.

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