mercredi 5 mars 2008

Cloverfield, Matt Reeves


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Ce que j’aime bien chez les américains, c’est leur capacité à se rendre hommage perpétuellement, avec la tendresse de l’ado en chacun d’eux; ici, Matt Reeves revisite le film catastrophe avec une prétention presque touchante : faire un vrai et un bon film catastrophe. Et il ne réussit pas trop mal.

Dans Cloverfield, la seule chose qu’on ne comprend pas c’est le titre. Le débat n’est pas là : Cloverfield est un divertissement pour grande personnes, ce qu’on appelle en anglais « Entertainment ». C’est comme la foire du trône en mieux fréquenté. Ce qui est une gageure avec un pitch goziellesque (un monstre détruit NY) et un budget ridicule pour un film avec un monstre (Transformers divisé par 3)

Le film catastrophe est un genre trop peu estimé. Et pour cause, le film catastrophe souffre d’une maladie génétique. Il divertit parce qu’il fait peur. Du coup on y a souvent adjoint des composantes plus rassembleuses, mauvaise histoire d’amour (La tour Infernale), pathos familial (La guerre des mondes), présence d’enfant (Le pic de Dante). On sait que les enfants font vendre, mais tout ceci gâche scrupuleusement ce qui constitue le charme réel du film catastrophe.

Matt Reeves a bien appris sa leçon. On découvre une demi-heure les protagonistes via la caméra DV du type qui filme le pot de départ de Rob en partance pour le Japon, et franchement, on ne s’y attache guère, ils sont sympas, new-yorkais mais on n’a pas vraiment pas envie de les connaître plus avant quand ils montent sur le toit voir la grosse explosion générée par le monstre et que tout commence à déraper.

Dans des circonstances qu’on ne racontera pas, Rob décide d’aller chercher la fille qu’il aime, (on l’apprend sur la bande entremêlée dans le caméscope) et avec qui il s’est brouillé avant l’attaque. Il repart donc dans le centre de Manhattan. Sentimentalisme ? Ressort romanesque efficace. Le film catastrophe prend alors son sens, où se confronte la lutte pour la survie et l’humanité (les protagonistes se demandent régulièrement d’où vient la bête, on ne le saura pas et on s’en fout), le gigantesque (le monstre) et les humains qui se carapatent comme des cafards.

Et là, le principe du film caméra DV devient redoutable, parce qu’il crédibilise les fuites éperdues dans New York, les carnages horribles morcelés du monstre et des mini monstres qu’il crache.

Ces temps-ci, ça devient de plus en plus en plus difficile à suivre ces films qui font peur où la caméra omniprésente et surnuméraire se fait un protagoniste intrusif. Et puis surtout, la peur est tellement plus crédible du point de vue de l’humain-proie. Les images montrées par les proies ont beau êtres partielles (le film ne peut se passer qu’a NY qui permet quand même quelques vues impressionnantes de haut), on n’a pas le sentiment que c’est un effet de style.

Une heure plus tard les gens fument leur cigarette devant le cinéma d’un air désabusé et se demandent d’où vient la vilaine bestiole (comme les protagonistes) et ne trouvent pas cela bien crédibles. Sauf qu’ils ont passé la séance à sursauter et à se terrer sous leurs sièges (comme les gens dans le film qui se terrent dans un tunnel pour ne pas mourir mangés), pris dans les effets de manche de la caméra DV qui passe en mode vision infrarouge dans le métro.

Nous européens sommes des autistes de l’émotionnel et encore plus à ses fonctions cathartiques (40 ans pour faire 5 films sur la guerre d’Algérie…). Ce n’est pas le cas des américains, et eux ont un recours décomplexé à l’auto psychanalyse. Cloverfield n’est pas un film sur le 11 septembre mais certaines images sont troublantes (gens errants dans les rues enfumées, Chrysler building qui s’effondre comme un château de carte). Ce n’est bien sûr pas anodin. On se confronte à nos peurs profondes (« C’est une autre attaque terroriste ? » demande quelqu’un au début). A ce qu’elles ont de traumatisantes, d’aveugles et de totalement impensables.

Le bête permet de dire l’incompréhension et la violence du traumatisme, car le 11 septembre est un tout destructeur dans notre inconscient collectif, on a trop tendance à l’oublier et à classer dans l’Histoire ce qui fait encore partie de la Mémoire. La mémoire vive c’est la caméra, qui enlace le normal (l’histoire d’amour avec la fille) et l’indicible qui désormais, cohabitent dans notre génération qu’on le veuille ou pas.

Bref Cloverfield est plutôt une belle prouesse, un bon divertissement, un film catastrophe sans prétentions familiales et moralistes (du style : l’homme est capable de se dépasser pour aller poser une bombe sur un Astéroïde quand il le faut vraiment). Ce qui reste d’humanité c’est avant tout l’impossibilité d’être seul, et surtout de mourir seul.

Après le 11 septembre, le nombre de mariages et de naissances a augmenté. Les entreprises de speeddating, cookdating sont devenues des affaires fructueuses dans la ville du célibat roi, les gens ont pris l’habitude de prendre des nouvelles de leurs voisins. Ce sont les sociologues qui le disent. Je crois que la quête de la femme que Rob aime, et l’aveuglement suicidaire de ses amis qui décident de l’accompagner parle de ça. Cloverfield a le mérite de s’intéresser aux effets des grands traumatismes sur les quidams, et à leur regain simple et déroutant d’humanité. C’est un assez joli propos pour un film catastrophe.

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